Ilheus
Pour satisfaire
quel Crésus
notre avion doit-il faire
une escale imprévue
à Ilheus ?
Belo Horizonte
Un simulacre
de soleil
sous l'âcre
nuage
de fumée
noirâtre
endeuille
le paysage
d'une gloire
létale.
Pampulha
Joie limpide et sans égale
qui marque aujourd'hui
d'un candide caillou
j'ai rencontré un grand
un peintre fort et doux
raffiné et brutal
sincère pur et loyal
j'ai rencontré un grand
aujourd'hui, un ami
un homme
qui prend séance tenante
une place restée vacante
entre Jacques Villon et Corbu
au cercle pourtant exigu
de ma famille mentale
Candido Portinari
il se nomme.
Ouro Preto I
Pour la première fois
peut-être
dans l'Histoire
la bienheureuse
Reine montée
au Ciel
dans sa gloire
dépeinte
parmi des angelots fessus
et des saints
aux mains jointes
augustement assise
dessus
des nuages vermeils
au plafond peint
de l'église Saint François
d'Assise
a le nez épaté
les mains calleuses
les yeux graves
et la bouche charnue
d'une esclave
noire.
Ouro Preto II
Les négresses
fantasques
lavaient les pépites
de leurs tresses
dans l'eau bénite
de la vasque
pour couvrir l'autel
de leur mère du ciel
d'une poussière
de lumière.
Congonhas
Le génial estropié
sans pitié
pour ses plaies
qui suppurent
lie avec des courroies
et des sangles très sûres
à ses moignons sanglants
le lourd marteau de fer
et le ciseau tranchant
et sculpte souriant
insoucieux de sa peine
dans les vieux troncs de bois
et dans la pierre dure
les déchirantes scènes
de la Dernière Cène
et du Chemin de Croix
et les sobres figures
des Prophètes et des Rois.
Campos do Jordão
Zermatt sans Matterhorn
au tropique du capricorne
Saint Moritz sans Bernina
mais la forêt d'araucarias !
Aparecida
La petite statue
rompue
de la Madone
au filet du pêcheur
apparue
donne
le salut
au défilé
ininterrompu
de pécheurs
qu'elle pardonne.
Guaratinguetà I
En dix ans
elle a trouvé
trois cents familles
pour adopter
trois cents garçons et filles
sans famille.
Elle leur enseigna
l'étroit chemin
qui part
des uns
et conduit aux autres
et fait qu'on ne dit plus : le mien
et le tien
mais le nôtre.
Avec fantaisie
créatrice
elle leur apprit
l'art
difficile
d'être parents
d'enfants sauvages
et aux enfants
celui
non moins subtil
d'être sages.
En éducatrice
avertie
elle leur fit voir
comment recevoir
et donner
la tendresse.
Mais elle porte en son âme meurtrie
la cicatrice
et la détresse
d'une blessure qui la mine
elle qui vit de ses yeux
enfantins
périr sa démente
génitrice
par le feu
et dut s'arracher
tremblante
de ses mains
pour échapper
au supplice
commun.
Orpheline
fragile
et menue
elle sécha ses larmes
et malgré ses alarmes
juvénile
bienfaitrice
elle vida l'orphelinat local
de son vital
contenu.
Ce qui est le plus rare au monde
le bonheur
elle qui ne l'a pas connu
elle l'a distribué à la ronde
de bon cur
et elle n'a rien tenu
pour soi
que la croix
rédemptrice
et la Madone
des douleurs
consolatrice.
Mais s'il est vrai
et je le crois
que l'on possède à jamais
ce qu'avec joie
l'on donne
alentour
alors plus que personne
elle est riche d'amour
Béatrice !
Guaratinguetà II
Un mourant du Sida
recueilli dans la rue
est veillé de grand cur
par un mort en sursis
qui bientôt le suivra
au seuil de l'autre vie
mais la mort est vaincue
quand l'amour est vainqueur.
Guatatinguetà III
A douze ans Antônio fumait la maconha, plus tard il se mit à la cocaïne. Pour se procurer les doses quotidiennes, il apprit bien vite l'art des hold up et c'est ainsi que ses parents surent qu'il se droguait par la police qui le recherchait après une expédition en tous points malheureuse.
Il ne rentrait à la maison que de loin en loin, poussé par le faim, la soif et le sommeil, mais les jérémiades de sa mère le mettaient mal à l'aise.
Avec une quinzaine d'autres adolescents, il tuait le temps dans un bouge surnommé "la cheminée", parce que la drogue s'y consommait et s'y trafiquait en toute impunité.
Un jour un habitué de "la cheminée" leur présenta un copain qu'Antônio crut d'abord à la recherche de drogue. En fait Nelson, paroissien irréprochable, n'en avait jamais vu de près et n'avait aucune intention de commencer. Mais ce brave garçon de vingt ans, au demeurant assez timide, s'était pris de compassion sincère et courageuse pour Antônio et autres paumés qui traînaient leurs baskets et leur mal de vivre sur le parvis de Notre Dame de Grâces. Désormais il passait chaque jour après son travail à "la cheminée" et il se fit adopter.
Un jour Nelson apprit que c'était l'anniversaire d'un garçon du groupe. Il s'arrangea avec sa sur pour faire un gâteau et le soir ils revinrent ensemble au café, lui avec une guitare et elle avec une tarte géante couronnée de bougies multicolores. Ce fut une fête comme ces garçons en manque d'amour n'en avaient pas connues depuis leur enfance, si tant est qu'ils aient eu une enfance. Avec son air de ne pas y toucher, Nelson était un véritable boute-en-train. Antônio se comprenait pas comment un garçon comme lui pouvait s'intéresser à eux ? Mais il savourait sa joie de pouvoir compter sur un ami qu'il sentait désintéressé.
Croyant lui faire plaisir, un jour qu'il était sous l'effet de la drogue, il lui proposa de fumer un joint. C'était sa manière à lui de partager ce qu'il avait de meilleur. Mais Nelson refusa le joint, tout en remerciant Antônio de la confiance qu'il lui témoignait par ce geste.
L'amitié des deux jeunes gens grandissait chaque jour au point qu'Antônio finit par demander à Nelson de l'aider à se libérer de la drogue, car les pleurs de sa mère avaient fini par l'apitoyer.
Pour toute réponse Nelson lui donna rendez-vous à l'église. Antônio vint. Ils prièrent ensemble pour sa guérison. Puis Nelson lui proposa de vivre avec lui une parole prise au hasard dans l'Evangile. Antônio acquiesça sans trop comprendre, mais désormais il mettait en Nelson une confiance illimitée.
La première parole fut : "Tout ce que vous aurez fait à un de ces petits, c'est à moi que vous l'aurez fait." Antônio en la vivant concrètement expérimenta une joie inconnue qui le transforma au point que ses amis de "la cheminée" s'en aperçurent.
Plusieurs se joignirent à Nelson et à Antônio. Au bout de trois mois ils étaient cinq qui vivaient ensemble les paroles de l'Evangile et qui avaient cessé de se droguer. Ils décidèrent d'habiter ensemble pour se soutenir plus efficacement. Ils reçurent en cadeau une vieille tondeuse à gazon avec laquelle ils purent gagner un peu d'argent pour vivre. Neuf mois après le curé de la paroisse, Frei Hans, un franciscain pour qui rien n'est impossible, leur proposa de fonder en dehors de la ville une maison pour leurs amis de plus en plus nombreux qui voulaient se libérer de la drogue. Ainsi naquit la Fazenda da Esperança qui depuis a essaimé dans tout le Brésil, rendant l'espoir à d'innombrables jeunes drogués. Nelson en est l'âme.
Aujourd'hui, après bien des vicissitudes, Antônio est marié, heureux père de trois enfants et, employé à plein temps de la Fazenda, il consacre toutes ses énergies à aider les drogués à s'en sortir, comme lui-même s'en est sorti.
Pedrinhas I
Ils ont des faces d'ange
et des sourires vainqueurs
ces étranges
gamins
aux épaules de dockers
et aux mains
de voleurs
mais leurs yeux clairs
pleins de douceur
virent l'enfer
des rues de fange
et de fer.
Maintenant ils chantent
une cacophonie
fervente
et leur chanson
parle de pardon
de frères et d'amis
et de bons larrons
auprès de Jésus
mangeant à sa table
des mets désirables
dans son paradis.
Des larmes de joie
brillent aux paupières
de ces gamins fiers
et remplis de foi.
Pendant leur prière
un chien fait chorus
et d'un air affable
se gratte les puces
sous le bénitier.
Pedrinhas II
Les vieilles pierres noircies
de l'aqueduc qui ruisselle
et des murs du moulin
intégrées par mes soins
dans la construction nouvelle
quand je passe près d'elles
murmurent à l'oreille : merci
de nous avoir sauvées !
São Paulo I
Une moisson drue
de gratte-ciel
à perte de vue
mûrit au soleil
de l'argent.
Dix Nordestins
indigents
sont morts ce matin
dans la rue
de froid et de faim
sous le nez des agents.
São Paulo
São Paulo
est laide sans doute
pourtant elle m'envoûte
et sait se faire aimer.
L'avenue São João
est un long fleuve en crue
de gens et d'autos
qui coule à mes pieds
dans son lit de ciment.
Le clocher pointu
de ce qui fut
naguère
l'église des Noirs
est une lumière
qui me rend l'espoir.
São Paulo II
Le Blanc félon
dispose
des cadeaux
souillés par la sanie
des hôpitaux
le long
des chemins
des Indiens
qu'il immole
par malévole
épidémie
de petite vérole
et de tuberculose.
São Paulo III
L'esclavage est aboli
c'est une bonne chose
mais l'existence
chiche
des Noirs du Brésil
n'est pas plus rose
pour autant
ils n'ont plus de propriétaires
qu'ils fussent cruels ou gentils
mais ils sont des prolétaires
corvéables à merci.
Grande n'est pas la différence :
ils sont toujours asservis
mais les riches
maintenant
ont bonne conscience.
São Paulo IV
Ah ! Tiété
comme je voudrais croire
ce qui aux panneaux
est attesté
et qu'on pourra bientôt
nager dans tes eaux
et les boire
à satiété !
São Paulo V
Quand, l'espace d'une génération, l'Etat a tout fait pour abrutir son peuple, proposer de penser, comme le font João-Manoel et ses amis intellectuels, c'est déjà aller à contre courant, mais si l'idéologie d'Etat fut pendant tout ce temps nationaliste et sécuritaire, proposer de penser monde uni relève de la Révolution.
São Paulo VI
Un dépôt de camions de l'armée
en plein cur de la ville
il est ceint de hauts murs
de béton armé
en surplomb
sur l'avenue tranquille
une échauguette désarmée
guette sans danger
mais le passant
alarmé l'évite
et vite passant
de l'autre coté
il murmure
entre les dents
une prière ou un juron.
Pendant les années de plomb
ce fut le servile Q.G. de la torture.
São Paulo VII
Après trois décennies
de silence
je retrouve Irami
l'ami d'adolescence
au sourire d'infinie
souffrance
et ce qu'alors la pudeur
et la décence
eussent interdit
nous est aujourd'hui
innocence
sans embarras
nous tombons dans les bras
l'un de l'autre et pour un peu
des pleurs de bonheur
couleraient de nos yeux
attendris.
Viagem Grande
Il est des fidélités sans nom qui imposent un respect apophatique.
Porto Alegre I
La froide
cheminée
du gazomètre
désaffecté
est le grêle
beffroi
d'une vie culturelle
qui veut naître.
Porto Alegre II
Waldir, beau métis
arrière-neveu
de Castro Alves
le poète des esclaves
est d'ascendance noire
la grande poésie
rattrapée
par la petite histoire.
Santa Maria
Quand la bise court
les chemins
de glace
il fait bon serrer
dans ses doigts gourds
la chaude calebasse
de maté amer
qui passe
de main en main.
Guaporé
Des yeux goulus
l'on déguste
le taurillon
qui rissole
et grésille
aux braises claires
de l'âtre
sur le soc vétuste
de la charrue
et l'on mâchonne
la canne sucrière
au jus
douceâtre
qui console
les papilles
ronchonnes.
Casca
Un Ipê
l'arbre soleil
icône
d'un Paradis
anticipé
fleurit pour moi
dans le ciel
de Casca
tout de jaune
nippé.
Florianopolis
Après les crépitants éclairs
les averses sans fin
et les vents déchaînés
d'une harassante journée
d'automobile
l'air soudain purifié
paraît étrangement fin
et les îles côtières
maintenant dévoilées
se profilent
familières
sur l'immense toile claire
du ciel étoilé.
Curitiba
La seule cité brésilienne que le respect imaginatif de son bref passé rend capable de se tourner hardiment vers l'avenir.
Curitiba II
Le jus
de maracuja
dont l'arôme
délicat
embaume
me donne
la berlue
le goujat !
Mandirituba
Sur la vieille presse
de l'aïeul
qu'il caresse
il tire avec l'orgueil
et l'art
d'un Manuce
faire-part
et prospectus.
Antonina I
Dans la grisaille et le crachin d'un ciel bas, alors que menace l'orage tropical, voir la mer apaise mon âme.
Antonina II
Une volée d'élégants vautours noirs disputent l'appétissant contenu d'une poubelle à un chien pataud qui finit par se lasser de leur courir dans les plumes.
Vila Velha
Parmi les géants
sculptés dans le grès
au gré du vent
et du temps
à Vila Velha
veillent
en secret
l'esprit
des ancêtres
et le chant des prêtres
proscrits.
Iguaçu
Une arche d'alliance
accompagne en chemin
l'improbable silence
des touristes
à l'improviste
par la beauté sauvage
mués en muets pèlerins
d'un autre âge.