L'arbre de feu (5)

Ilheus

Pour satisfaire

quel Crésus

notre avion doit-il faire

une escale imprévue

à Ilheus ?

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Belo Horizonte

Un simulacre

de soleil

sous l'âcre

nuage

de fumée

noirâtre

endeuille

le paysage

d'une gloire

létale.

 

Pampulha

Joie limpide et sans égale

qui marque aujourd'hui

d'un candide caillou

j'ai rencontré un grand

un peintre fort et doux

raffiné et brutal

sincère pur et loyal

j'ai rencontré un grand

aujourd'hui, un ami

un homme

qui prend séance tenante

une place restée vacante

entre Jacques Villon et Corbu

au cercle pourtant exigu

de ma famille mentale

Candido Portinari

il se nomme.

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Ouro Preto I

Pour la première fois

peut-être

dans l'Histoire

la bienheureuse

Reine montée

au Ciel

dans sa gloire

dépeinte

parmi des angelots fessus

et des saints

aux mains jointes

augustement assise

dessus

des nuages vermeils

au plafond peint

de l'église Saint François

d'Assise

a le nez épaté

les mains calleuses

les yeux graves

et la bouche charnue

d'une esclave

noire.

 

Ouro Preto II

Les négresses

fantasques

lavaient les pépites

de leurs tresses

dans l'eau bénite

de la vasque

pour couvrir l'autel

de leur mère du ciel

d'une poussière

de lumière.

 

Congonhas

Le génial estropié

sans pitié

pour ses plaies

qui suppurent

lie avec des courroies

et des sangles très sûres

à ses moignons sanglants

le lourd marteau de fer

et le ciseau tranchant

et sculpte souriant

insoucieux de sa peine

dans les vieux troncs de bois

et dans la pierre dure

les déchirantes scènes

de la Dernière Cène

et du Chemin de Croix

et les sobres figures

des Prophètes et des Rois.

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Campos do Jordão

Zermatt sans Matterhorn

au tropique du capricorne

Saint Moritz sans Bernina

mais la forêt d'araucarias !

 

Aparecida

La petite statue

rompue

de la Madone

au filet du pêcheur

apparue

donne

le salut

au défilé

ininterrompu

de pécheurs

qu'elle pardonne.

 

Guaratinguetà I

En dix ans

elle a trouvé

trois cents familles

pour adopter

trois cents garçons et filles

sans famille.

Elle leur enseigna

l'étroit chemin

qui part

des uns

et conduit aux autres

et fait qu'on ne dit plus : le mien

et le tien

mais le nôtre.

Avec fantaisie

créatrice

elle leur apprit

l'art

difficile

d'être parents

d'enfants sauvages

et aux enfants

celui

non moins subtil

d'être sages.

En éducatrice

avertie

elle leur fit voir

comment recevoir

et donner

la tendresse.

Mais elle porte en son âme meurtrie

la cicatrice

et la détresse

d'une blessure qui la mine

elle qui vit de ses yeux

enfantins

périr sa démente

génitrice

par le feu

et dut s'arracher

tremblante

de ses mains

pour échapper

au supplice

commun.

Orpheline

fragile

et menue

elle sécha ses larmes

et malgré ses alarmes

juvénile

bienfaitrice

elle vida l'orphelinat local

de son vital

contenu.

Ce qui est le plus rare au monde

le bonheur

elle qui ne l'a pas connu

elle l'a distribué à la ronde

de bon cœur

et elle n'a rien tenu

pour soi

que la croix

rédemptrice

et la Madone

des douleurs

consolatrice.

Mais s'il est vrai

et je le crois

que l'on possède à jamais

ce qu'avec joie

l'on donne

alentour

alors plus que personne

elle est riche d'amour

Béatrice !

 

Guaratinguetà II

Un mourant du Sida

recueilli dans la rue

est veillé de grand cœur

par un mort en sursis

qui bientôt le suivra

au seuil de l'autre vie

mais la mort est vaincue

quand l'amour est vainqueur.

 

Guatatinguetà III

A douze ans Antônio fumait la maconha, plus tard il se mit à la cocaïne. Pour se procurer les doses quotidiennes, il apprit bien vite l'art des hold up et c'est ainsi que ses parents surent qu'il se droguait par la police qui le recherchait après une expédition en tous points malheureuse.

Il ne rentrait à la maison que de loin en loin, poussé par le faim, la soif et le sommeil, mais les jérémiades de sa mère le mettaient mal à l'aise.

Avec une quinzaine d'autres adolescents, il tuait le temps dans un bouge surnommé "la cheminée", parce que la drogue s'y consommait et s'y trafiquait en toute impunité.

Un jour un habitué de "la cheminée" leur présenta un copain qu'Antônio crut d'abord à la recherche de drogue. En fait Nelson, paroissien irréprochable, n'en avait jamais vu de près et n'avait aucune intention de commencer. Mais ce brave garçon de vingt ans, au demeurant assez timide, s'était pris de compassion sincère et courageuse pour Antônio et autres paumés qui traînaient leurs baskets et leur mal de vivre sur le parvis de Notre Dame de Grâces. Désormais il passait chaque jour après son travail à "la cheminée" et il se fit adopter.

Un jour Nelson apprit que c'était l'anniversaire d'un garçon du groupe. Il s'arrangea avec sa sœur pour faire un gâteau et le soir ils revinrent ensemble au café, lui avec une guitare et elle avec une tarte géante couronnée de bougies multicolores. Ce fut une fête comme ces garçons en manque d'amour n'en avaient pas connues depuis leur enfance, si tant est qu'ils aient eu une enfance. Avec son air de ne pas y toucher, Nelson était un véritable boute-en-train. Antônio se comprenait pas comment un garçon comme lui pouvait s'intéresser à eux ? Mais il savourait sa joie de pouvoir compter sur un ami qu'il sentait désintéressé.

Croyant lui faire plaisir, un jour qu'il était sous l'effet de la drogue, il lui proposa de fumer un joint. C'était sa manière à lui de partager ce qu'il avait de meilleur. Mais Nelson refusa le joint, tout en remerciant Antônio de la confiance qu'il lui témoignait par ce geste.

L'amitié des deux jeunes gens grandissait chaque jour au point qu'Antônio finit par demander à Nelson de l'aider à se libérer de la drogue, car les pleurs de sa mère avaient fini par l'apitoyer.

Pour toute réponse Nelson lui donna rendez-vous à l'église. Antônio vint. Ils prièrent ensemble pour sa guérison. Puis Nelson lui proposa de vivre avec lui une parole prise au hasard dans l'Evangile. Antônio acquiesça sans trop comprendre, mais désormais il mettait en Nelson une confiance illimitée.

La première parole fut : "Tout ce que vous aurez fait à un de ces petits, c'est à moi que vous l'aurez fait." Antônio en la vivant concrètement expérimenta une joie inconnue qui le transforma au point que ses amis de "la cheminée" s'en aperçurent.

Plusieurs se joignirent à Nelson et à Antônio. Au bout de trois mois ils étaient cinq qui vivaient ensemble les paroles de l'Evangile et qui avaient cessé de se droguer. Ils décidèrent d'habiter ensemble pour se soutenir plus efficacement. Ils reçurent en cadeau une vieille tondeuse à gazon avec laquelle ils purent gagner un peu d'argent pour vivre. Neuf mois après le curé de la paroisse, Frei Hans, un franciscain pour qui rien n'est impossible, leur proposa de fonder en dehors de la ville une maison pour leurs amis de plus en plus nombreux qui voulaient se libérer de la drogue. Ainsi naquit la Fazenda da Esperança qui depuis a essaimé dans tout le Brésil, rendant l'espoir à d'innombrables jeunes drogués. Nelson en est l'âme.

Aujourd'hui, après bien des vicissitudes, Antônio est marié, heureux père de trois enfants et, employé à plein temps de la Fazenda, il consacre toutes ses énergies à aider les drogués à s'en sortir, comme lui-même s'en est sorti.

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Pedrinhas I

Ils ont des faces d'ange

et des sourires vainqueurs

ces étranges

gamins

aux épaules de dockers

et aux mains

de voleurs

mais leurs yeux clairs

pleins de douceur

virent l'enfer

des rues de fange

et de fer.

Maintenant ils chantent

une cacophonie

fervente

et leur chanson

parle de pardon

de frères et d'amis

et de bons larrons

auprès de Jésus

mangeant à sa table

des mets désirables

dans son paradis.

Des larmes de joie

brillent aux paupières

de ces gamins fiers

et remplis de foi.

Pendant leur prière

un chien fait chorus

et d'un air affable

se gratte les puces

sous le bénitier.

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Pedrinhas II

Les vieilles pierres noircies

de l'aqueduc qui ruisselle

et des murs du moulin

intégrées par mes soins

dans la construction nouvelle

quand je passe près d'elles

murmurent à l'oreille : merci

de nous avoir sauvées !

 

São Paulo I

Une moisson drue

de gratte-ciel

à perte de vue

mûrit au soleil

de l'argent.

Dix Nordestins

indigents

sont morts ce matin

dans la rue

de froid et de faim

sous le nez des agents.

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São Paulo

São Paulo

est laide sans doute

pourtant elle m'envoûte

et sait se faire aimer.

L'avenue São João

est un long fleuve en crue

de gens et d'autos

qui coule à mes pieds

dans son lit de ciment.

Le clocher pointu

de ce qui fut

naguère

l'église des Noirs

est une lumière

qui me rend l'espoir.

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São Paulo II

Le Blanc félon

dispose

des cadeaux

souillés par la sanie

des hôpitaux

le long

des chemins

des Indiens

qu'il immole

par malévole

épidémie

de petite vérole

et de tuberculose.

 

São Paulo III

L'esclavage est aboli

c'est une bonne chose

mais l'existence

chiche

des Noirs du Brésil

n'est pas plus rose

pour autant

ils n'ont plus de propriétaires

qu'ils fussent cruels ou gentils

mais ils sont des prolétaires

corvéables à merci.

Grande n'est pas la différence :

ils sont toujours asservis

mais les riches

maintenant

ont bonne conscience.

 

São Paulo IV

Ah ! Tiété

comme je voudrais croire

ce qui aux panneaux

est attesté

et qu'on pourra bientôt

nager dans tes eaux

et les boire

à satiété !

 

São Paulo V

Quand, l'espace d'une génération, l'Etat a tout fait pour abrutir son peuple, proposer de penser, comme le font João-Manoel et ses amis intellectuels, c'est déjà aller à contre courant, mais si l'idéologie d'Etat fut pendant tout ce temps nationaliste et sécuritaire, proposer de penser monde uni relève de la Révolution.

 

São Paulo VI

Un dépôt de camions de l'armée

en plein cœur de la ville

il est ceint de hauts murs

de béton armé

en surplomb

sur l'avenue tranquille

une échauguette désarmée

guette sans danger

mais le passant

alarmé l'évite

et vite passant

de l'autre coté

il murmure

entre les dents

une prière ou un juron.

Pendant les années de plomb

ce fut le servile Q.G. de la torture.

 

São Paulo VII

Après trois décennies

de silence

je retrouve Irami

l'ami d'adolescence

au sourire d'infinie

souffrance

et ce qu'alors la pudeur

et la décence

eussent interdit

nous est aujourd'hui

innocence

sans embarras

nous tombons dans les bras

l'un de l'autre et pour un peu

des pleurs de bonheur

couleraient de nos yeux

attendris.

 

Viagem Grande

Il est des fidélités sans nom qui imposent un respect apophatique.

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Porto Alegre I

La froide

cheminée

du gazomètre

désaffecté

est le grêle

beffroi

d'une vie culturelle

qui veut naître.

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Porto Alegre II

Waldir, beau métis

arrière-neveu

de Castro Alves

le poète des esclaves

est d'ascendance noire

la grande poésie

rattrapée

par la petite histoire.

Santa Maria

Quand la bise court

les chemins

de glace

il fait bon serrer

dans ses doigts gourds

la chaude calebasse

de maté amer

qui passe

de main en main.

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Guaporé

Des yeux goulus

l'on déguste

le taurillon

qui rissole

et grésille

aux braises claires

de l'âtre

sur le soc vétuste

de la charrue

et l'on mâchonne

la canne sucrière

au jus

douceâtre

qui console

les papilles

ronchonnes.

 

Casca

Un Ipê

l'arbre soleil

icône

d'un Paradis

anticipé

fleurit pour moi

dans le ciel

de Casca

tout de jaune

nippé.

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Florianopolis

Après les crépitants éclairs

les averses sans fin

et les vents déchaînés

d'une harassante journée

d'automobile

l'air soudain purifié

paraît étrangement fin

et les îles côtières

maintenant dévoilées

se profilent

familières

sur l'immense toile claire

du ciel étoilé.

 

Curitiba

La seule cité brésilienne que le respect imaginatif de son bref passé rend capable de se tourner hardiment vers l'avenir.

 

Curitiba II

Le jus

de maracuja

dont l'arôme

délicat

embaume

me donne

la berlue

le goujat !

 

Mandirituba

Sur la vieille presse

de l'aïeul

qu'il caresse

il tire avec l'orgueil

et l'art

d'un Manuce

faire-part

et prospectus.

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Antonina I

Dans la grisaille et le crachin d'un ciel bas, alors que menace l'orage tropical, voir la mer apaise mon âme.

 

Antonina II

Une volée d'élégants vautours noirs disputent l'appétissant contenu d'une poubelle à un chien pataud qui finit par se lasser de leur courir dans les plumes.

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Vila Velha

Parmi les géants

sculptés dans le grès

au gré du vent

et du temps

à Vila Velha

veillent

en secret

l'esprit

des ancêtres

et le chant des prêtres

proscrits.

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Iguaçu

Une arche d'alliance

accompagne en chemin

l'improbable silence

des touristes

à l'improviste

par la beauté sauvage

mués en muets pèlerins

d'un autre âge.

L'arbre de feu 6