Des aquarelles avec les mots
Poète, parolier, écrivain, peintre, architecte ? Artiste ? Esthète ? Lors d'un entretien précédant celui qui devait produire le présent article, Michel Pochet, avec son acuité et sa clarté toutes françaises, m'avait humblement démontré la supériorité de l'esthète sur l'artiste. L'esthète était un de ses amis récemment disparu. L'artiste, l'artisan de ces ouvres que l'esthétique réclame, c'était plutôt lui. Ou du moins, il aurait aimé en être certain. Au fond, cela n'avait guère une importance fondamentale, même si la question, pour ne pas être essentielle, a néanmoins toujours occupé une place lancinante, et utile, dans sa vie.
L'ATTIRANCE DU BEAU
Parisien né en 1940 en Provence, il a vécu toute son enfance sous le chaud soleil et la lumière ineffable du pays corse. A treize ans, il voulait devenir peintre. Pour aider son talent à s'épanouir, madame Pochet, en personne avisée, s'était remise elle-même à peindre.
Le rapport de Michel à l'écriture, s'il procédait du même mouvement d'attirance qu'exerçait sur lui le Beau, fut beaucoup moins linéaire. Une famille constellée de gens de plume extrêmement exigeants sur la qualité de l'écriture tendront à faire de sa légère dyslexie - avec laquelle il se débat encore aujourd'hui - une sorte de complexe d'infériorité. Il n'osera jamais montrer aux siens ses écrits. Qui plus est, un de ses camarades de classe, plus que brillant en la matière, décrochera plus tard le prix Fémina et accomplira une brillante carrière de critique littéraire : une émulation légèrement... décourageante.
Vers vingt ans, Michel découvrait l'idéal de l'unité et la famille spirituelle des Focolari. Il avait entrepris des études d'architecture pour rassurer mes parents, précise-t-il, et puis de toute façon, si on veut devenir peintre, ce n'est surtout pas dans les écoles de peinture qu'il faut aller étudier ". Cette découverte des focolari, vite suivie d'un engagement total, allait à la fois le détacher d'une " carrière d'artiste " et lui offrir des occasions apparemment aléatoires, mais souvent fort à propos, d'exercer ses multiples talents.
Il participa aux premières traductions en un français digne de ce nom du premier livre de Nouvelle Cité, 28 histoires vraies, et des Méditations de Chiara Lubich.
" Ce fut pour moi une d'école d'écriture. Il s'agissait non pas de traduire purement et simplement en bon français, mais d'opérer une véritable transplantation culturelle, d'écrire ces méditations comme si Chiara était française. "
DES TEXTES D'UNE GRANDE FORCE
Un joli épisode mérite d'être raconté. Jean, un focolarino plein de talents et de sensibilité, venait de vivre des moments de grande intensité avec Romuald qui était venu de la capitale pour visiter son petit focolare de province. Au moment de se quitter, i1s avaient le cur si brûlant (un peu comme les disciples Emmaüs), que cette séparation les attristait fortement, et à juste titre, pourrait-on dire (comme Marie au pied de la Croix). De retour au focolare après avoir accompagné Romuald à la gare, Jean se mit à composer un air sur sa guitare. Mais les paroles ne venaient pas.
Q u e 1 q u e s semaines plus tard, il rencontre Michel. Il lui Raconte l'épisode et lui joue son air. "Comment exprimer par des paroles cette profonde tristesse de Marie ? " Alors, s'étant associé à l'expérience vécue par Jean et Romuald, Michel a écrit les paroles de Tristesse de partir; qui est devenu le chant de conclusion de la Messe pour une génération nouvelle et qui pendant des années sera chanté à la fin de toutes les Mariapolis.
La fin des années soixante et la naissance du Mouvement Gen lui donneront l'occasion à la fois de produire des textes d'une grande force (Célébration, qu'il définit lui-même comme une sorte de messe pour non croyants attirés par l'idéal d'unité et son mystère: Jésus abandonné) et d'aider à l'éclosion d'une nouvelle génération de poètes (les recueils Amis des sans amis et Pour qui , pourquoi).
CONTACTS AVEC LE BRESIL PROFOND
Vingt ans, une dizaine de livres et une centaine d'articles plus tard, vingt ans au cours desquels il a assumé la responsabilité du Mouvement en Belgique, le voici à un moment de bilan, comme il le dit lui-même. Eté 1992 : invité par des amis du Mouvement, il passe ses vacances au Brésil.
Pourquoi? "Il y avait là, à mon avis, un monde important et symbolique pour notre planète : cette société multiraciale, c'est ce qui est en train de se produire à l'échelle du monde. De plus, i 'avais un intérêt particulier pour cette question de colonisation, avec la mission, conversion plus ou moins forcée au christianisme, le génocide, l'esclavage. Et puis Chiara, justement lors de son voyage au Brésil l'année précédente, venait de fonder l'économie de communion, en se référant à cette "technique" de 1'unité qui consiste à "se faire un au plus profond de l'être".
Michel retournera encore deux fois dans ce pays, en 1993 et 1995. Ce contact avec le Brésil profond (il y a séjourné seulement chez des amis brésiliens, et c'est à partir d'eux qu'il " s'est fait un " avec le Brésil) a constitué pour lui une riche expérience qui a produit, à la sueur de son front, une musique particulière, la musique d'un homme des douleurs de l'Ancien Monde qui rencontre un peuple des douleurs du Nouveau Monde. Cette musique, c'est un recueil de poésies, L'Arbre de feu (le Brésil), que par une autre métaphore Michel me décrit comme des aquarelles avec des mots. " Il aurait fallu écrire un livre d'histoire politique, économique et sociale, et j'en étais incapable. Puis tout cela était impossible en prose, improuvable et je n'aurais pas été crédible...
Lorsque j'ai commencé à écrire, j'ai placé quelques "éléments décoratifs" sans intention. Ainsi j'ai pu commencer la folie d'écrire ce recueil, et au fur et à mesure, j'ai vu que je pouvais, par l'évidence de la musique des mots, décrire l'expérience. Je pense que c'est licite et que je n'étais pas obligé d'apporter de l'érudition pour me justifier." Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement... "En poésie, on peut tout dire et tout faire comprendre. Et les gens comprennent la musique bien avant l'idéologie". Et bien mieux.
Robert Chadourne