y h j o n l e u k h n

Caillou blanc

chemine tant que tu frayes le chemin

 Poésie à l’écoute de Mario Pardi, Artigiano

TIQUEL AYES

PREMIERS PAS

  CAILLOUX DU CHEMIN

  

 

« Chaque idée est une responsabilité… »

  Je désire m’astreindre à énoncer avec plus de clarté quelques pensées qui me sont venues depuis l’adolescence.

 Je les ai écrites et parfois réécrites, mais sans me soucier d’être lisible, sans envisager sérieusement aucune publication.

 Ainsi n’auraient-elles donc servi à personne d’autre qu’à moi.

Ces réflexions, ces ébauches de poésie, ces tentatives d’écriture, un manque de concision et de rigueur les ont rendues ardues sinon impénétrables.

 J’élaguerai donc. Je serai plus explicite. Il le faut. 

Car si "chaque idée est une responsabilité", c’est prendre à cœur cette parole que d’éclaircir davantage ma pensée.

Vaille que vaille, je n’en serai responsable qu’à la seule condition qu’elle circule.

 

  

«HEUREUX CEUX QUI PLEURENT : ILS SERONT CONSOLÉS»

 

 Aux orphelins de toutes les guerres,

Aux enfants de la Shoah

Aux voix égorgées

Aux mères esseulées

Aux pères assassinés

Aux opprimés de partout et de toujours

Aux affligées, aux affligés de ce monde

Aux victimes muettes des injustices

Aux victimes de la laideur criarde

Aux peuples qui désespèrent

Aux suicidaires

Aux refoulés

Aux mal aimés

Aux oubliés

Aux cœurs encore de pierre

mais autrefois en fusion

maintenant refroidis

mais qui peuvent

battre encore

pour autrui

battre pour

la vie

 

« Tu me révéleras le chemin de la vie,

HOMMAGE A ANDREI TARKOVSKI

 

Il te faut juste un peu plus d’un demi siècle

pour accomplir ton œuvre...

Tu auras le temps simplement

de t’attacher sans t’attarder à ce qui importe,

et qu’il importe de passer à tes contemporains :

ce dont ils ont le plus besoin.

Tu adopteras le langage que le plus grand nombre comprend :

celui des images.

Mais ne pénétreront vraiment ton œuvre

que ceux qui en reparleront.

Tu toucheras en plein cœur l’âme quasi absente de tes contemporains.

Tu viendras d’une façon forte, percutante, définitive,

renverser les sens interdits des bien pensant,

faire germer d’espérance scintillante l’aridité présente —

rendre à la tribu le Verbe qu’il avait tu.

Tu viendras encore,

depuis que cette nuit tu es passé,

réveiller en nous,

par-delà la peur anesthésiante,

l’exigence de croire dans la Rédemption.

Au-delà des apocalypses se promène patiemment

Celui qui a vaincu la mort, le semeur de lumière…

Et c’est auprès de lui qu’en ce moment tu te promènes.

C’est avec lui qu’en ce moment tu t’entretiens.

Ta mort, je m’en doute, ton calvaire,

tu l’auras vécu comme ton " sacrifice ".

A bientôt, j’espère, frère l’artiste…

 

29. XII. 1986

 

A L’ORÉE DE L’HORIZON…

 

Certes, on aura sous-estimé l’effet médusant

que peuvent avoir sur l’activité de milliers de gens

les sirènes d’ambulances qui traversent les villes

de ce dernier quart de siècle :

médusant dis-je, car ne suscitent-elles point

stupeur et angoisse, ne proclament-elles pas

la détresse indicible, l’incontournable impuissance

des hommes aux prises avec Elle ?

 

Fallait-il alors qu’une si déchirante écorchure

s’empare du silence de ce soir ?

 

Quant à toi dont l’heure est venue :

t’y retrouves-tu ?

 

Qu’en ces tenaillantes parois sonores,

puisse filtrer pourtant l’évanescence

de la mélodie que tu as tant aimée,

en si bémol mineur…

 

Lui revient-elle

maintenant que l’effleure

l’apaisement liminal ?

 

Ah! l’ultime phrase mélodique,

puisse-t-il l’improviser en l’écoutant chanter,

 

Et la vouloir instamment

tant qu’elle lui sourit,

l’échappée sidérale qui luit

à l’orée de l’horizon…

 On chante par là de très claire voix.

 En elle l’espace lumière s’illimite.

 Grande est la joie de la voix qui va tout droit vers toi.

 

OUVERTURE

 S’ouvriront-elles

Les belles ailes ?

 S’éveillent-elles

Les prunelles ?

 S’esbignent-elles

Les cascatelles ?

 Vole, voile…

Au-delà de l’eau sombre

 File, fille…

Au-delà de son ombre…

 Vole, voile…

Au-delà de l’eau sombre

   

 

SINUOSITÉ

I

Rien de plus

profond

dans la vallée

que la rivière

qui doucement s’y coule

qui doucement la creuse 

II

N’y a-t-il que l’eau

qui puisse me l’expliquer

que l’effort le plus dur

est de la laisser aller

la vie qui va, heureuse

 III

  Rien de plus

profond

rien de plus

sûr

que ma vallée

future

 

A Anne-Marie

 PATIENCE

La patience est de la neige

qui tombe, tombe, tombe

qui se pose

Dans un blanc tapis de neige

qui se pose

 La patience est de la neige

qui attend

en blanc

Les premières primevères

du printemps

 La patience est fille de la mer

qui attend

patiemment

L’épanchement des rivières

primesautières

  

 

HAÏKAÏ

 

En géométrie

Quoique l’ombre soit tendre

Et contrastive

 

Linéairement

S’illimite la perspective

Trajet à suivre

  

VA

Va visiter

Dans les soleils

Qui peuplent

Tes galaxies intérieures

 

Les mille variations

 

De

l’Uni

Que

 

Lumière

 

.

SOUFFLE SUR LA BRAISE DU CŒUR…

Dans la caverne de l’ignorance

Où l’obscurité est totale et dense…

 Tu es entré. 

Tu y as allumé une allumette

Sans regarder l’ombre immense.

Tu as fixé la flamme

Que le vent savant a soufflée. 

Tu vis dans le souvenir d’une flamme allumée.

 D’autres allumettes t’ont été données

Que tu n’arrives point à allumer :

Elles sont toutes mouillées.

 Où trouver du bois sec pour faire un grand feu ?

 Vivre à jamais

Dans le froid des ténèbres ? 

Ferme les yeux,

Et sens y luire une autre chaleur,

entends souffler Ses paroles

Sur la braise des cœurs…

  

 

MARCHE D’UN PAS AILÉ…

 L’avenir vient pour qui fait confiance.

Celui qui marche n’a pas peur de vaciller.

Seul celui qui s’arrête et se retourne,

voit l’abîme le talonner, et vacille…

Seul qui marche ne vacille pas, car vaciller,

c’est perdre l’équilibre stable de l’être statufié.

Or qui marche a déjà renoncé à la stabilité:

il marche sans se soucier que l’abîme le talonne,

Sans se soucier que le solide qu’il vient de quitter

s’est effondré dans le vide déjà

Et que seul le sol qu’il touche

de la pointe du pied le plus avancé

— Osant le poser dans l’invisible —

— le soutiendra le temps qu’il aura fallu —

De faire allègrement un pas léger de plus…

 

 

ESCALE ÈS ESPINES

 Trois feuilles,

à elles seules,

Tendirent au ciel

la tendresse du cactus.

 

Dessous, le tronc d’épines.

 

Je suis ton âme,

dirent les feuilles.

Nous ne sommes que cinquante-neuf,

dirent les épines.

 

Elles affectèrent

une forme en volute,

Espèce d’escalier dont chaque épine

imitait une marche.

 

Si tu grimpes, dirent les épines,

point de piqûres…

Rends-toi à l’heure où te ferons voir

ton cœur en fleurs…

 

 

APNÉE

 

 

Un instant retiens-toi de respirer,

et que soit suspendue notre respiration,

"Nel mezzo del cammin di nostra vita",

 

 

afin de…

se dire simplement

que la vie n’aura pas paru plus longue

qu’une simple allée et venue d’air dans nos poumons…

 

 

et que toutes ces périodes figurent,

en quelque sorte,

les vies humaines de notre Humanité…

 

 

toutes les fois qu’on aura pu dire :

"Voilà toute une vie"

car chaque prise d’air sera rendue,

l’ayant transformé, s’en étant nourri

— chaque vie reçue, rendue :

 

 

telle celles de Dante et de David,

 

 

— Inspirés —

sachant rendre

l’esprit…

 

 

Mais à Qui

chaque être de souffle

donne-t-il ainsi

de respirer

à perpétuité

parmi nous

 

 

comme si chacun de nous était

l’une

de ses Paroles ?

 

 

 

PAROLE

 

sortie du sîlence

 

exîlée

 

elle

 

s’y lance

 

*

 

parole et silence

ombre et lumière

 

jusqu’à ce que tour à tour

chaque parole replonge dans le silence

chaque ombre plonge dans la lumière

 

que le silence

telle la lumière

s’enrichisse

de chaque ombre

sombrée

de chaque parole

écoutée

 

silence d’ombre

parole de lumière

 

parole d’ombre

silence de lumière

 

 

***

 

 

 

N U A G E

Elle est nuage, la bouche de tes paroles

Elles sont sa pluie, sa neige, tes paroles

 Dans le paysage d’été de ma main,

Dans la vallée d’hiver de l’autre,

J’accueille la pluie et la neige des cieux.

 

Car je suis terre et terre sèche,

Je suis oreille, oreille qui t’écoute.

Elle tombe doucement, la neige

Sur mes flancs.

Elle ruisselle, l’ondée

Dans mes cheveux tout mouillés.

 

 

Tu m’emmènes, m’entraînes…

Tu me brasses, me chasses…

Je ne suis plus terre, ni terre sèche…

Je ne suis que limon, limon fertile…

 

Et quand je parle, fleurissent des fleurs,

Et quand je pleure, naissent tes enfants.

 

La pluie, la neige, Oh! Nuage: tes paroles !

Elles ne retournent pas vers toi à vide !

 

d’après YeSHa’YaH 55, 8-11

Tel qu’il fut rendu en français ardu par André Chouraqui

 

VEZELAY

 

Espace d’écoute et d’entente

des hommes, des femmes, des enfants

Espèce de tente

— où tu écoutes,

venues d’ailleurs,

 

 

voyelles et consonnes

de la parole

et du silence

 

 

— où tu lis

des pages et des pages et

— où tu rêves dans les marges

— où tu écris

 

 

Espace de lumière

 

 

Il t’invite à te ressourcer

 

 

à te reprendre

à te reposer

à recevoir

 

 

— de l’imprévisible

 

 

à te donner

— du temps

 

 

Un temps de gratuité

temps de grâce

sabbatique

 

 

Face à la colline

inspirée

 

 

 LIGNE DE MIRE

 

Caillou considéré

Quelle intensité enlaça l’éveil de ta forme ?

Beau caillou, galet bleu

L’errance pieds nus et las:

Une ligne s’annonce aux confins de l’errance.

Rocaille qui gît

Gypse gigantesque qui bloque

Dyke épais qui s’étrécit à son sommet

Roche foliacée qui frémit

Flysch

Puy nickélifère

Cromlech coruscant où pose

L’yttrialite

  Non…

Le diamant!

Diamant :

Acte îlien

tendu au-dedans

de la ténèbre des ères…

  

PENSER QU’UN CAILLOU BLANC POLI PAR LE FROTTEMENT DE L’EAU ET DU TEMPS T’ATTEND

 

Caillou imperceptiblement déformé de traverser des années-lumière de millénaires,

par la lenteur et la densité de ta beauté,

la densité et la pleine blancheur de ta splendeur,

tu recèles la nuit qui veille,

la nuit toute simple avec ses rêveurs de profondeurs,

la nuit des sens de l’homme éveillé…

Caillou tu les recèles…

Quelle idiotie que de penser que le caillou traverse uniformément le temps…

Comme si celui-ci était un continuum de part en part

et partout dans les mêmes conditions traversable …

Alors qu’à l’érosion revient la préséance,

à elle qui — si menue soit-elle,

nasillant le parcourt…

Le mouvement des astres dissipera le roc - en poussières…

La présence ici de ce galet sur lequel coule et coulera toute l’eau d’en haut,

est don subtil.

Moins, assurément, que celle qui rend l’un à l’autre si présents

Un homme qui follement danse avec une femme…

Une femme qui passionnément danse avec un homme…

Leur parler de lui à elle - et d’elle à lui, une vie durant, assurément,

les érode davantage que tous les vents du monde.

Penser que,

de l’agir de leur corps,

de leurs bras, de leurs mains, de leurs doigts,

de leur langue, de leur bouche,

de leurs jambes, de leurs pieds

de leur sexe et de leur cœur,

de la façon dont ils se meuvent et qu’ils s’accueillent,

de celle dont ils accueillent le rythme de chaque être,

animal, végétal et minéral qui les nourrit,

de chaque chose qui leur arrive comme une première-née à leur amour confiée,

penser que de la manière dont ils s’expriment, chantent, parlent, peignent et se promènent

que de là

viendront à la voix de l’Auteur du monde advenant qui les écoute aimer, peiner,

les tonalités vocales du nom nouveau qu’il va leur inventer, leur réserver,

et la graphie qu’à l’encre de sa nuit,

sur le léger grenu du caillou blanc qu’il leur destine,

il tracera…

 

 

POËME DE L’AGNEAU

 

« Il y avait, dans le pays,

des bergers qui vivaient aux champs

et qui passaient les veilles de la nuit

à garder leur troupeau. »

L’horizon de toutes parts

séparait l’invisible du visible.

Les lignes donnaient aux collines leurs formes,

mais rien au-delà.

Depuis le tout début,

la lueur des astres et de l’aube

alimentait chez les bergers,

veilleurs de la nuit,

la soif et l’espérance.

Pauvres, ils n’avaient pour richesse

que leurs rêves éveillés d’espérance

qu’ils se racontaient facilement,

car entre eux régnait une grande transparence

et ils s’aimaient beaucoup.

Ils méditaient dans leurs cœurs la promesse

jadis faite à Yesha’yah,

qui parmi tous avait écouté la voix du Seigneur,

ils la méditaient sous les étoiles,

dans la nuit de l’attente :

« Hoïe ! Tous les assoiffés,

allez vers les eaux,

et qui n’a pas d’argent, allez,

approvisionnez-vous et mangez,

allez, approvisionnez-vous sans argent,

sans prix, de vin et de lait ».

De l’invisible

au-delà des collines

se fit entendre à eux

cette mélodie :

« Je donnerai gratis,

à qui a soif,

l’eau de la source de vie ».

L’un d’eux se leva,

étonné de ce que leur avait dit cette voix.

« Avez-vous entendu ce message ? »

demanda-t-il à ses amis

qui se trouvaient avec lui

autour des braises.

Ils se levèrent tous,

le regard tourné au-delà des collines.

Ils avaient parfaitement reçu le message.

Chacun savait que l’heure était venue.

Chacun était prêt.

« Mon doux et tendre Jésus

Si l’amour doit me tuer,

l’heure en est venue ».

Telle était à vrai dire leur prière,

car ils étaient prêts à mourir pour l’amour.

Ils étaient d’un accueil parfait l’un de l’autre

et des autres.

Ils étaient comme une grotte nocturne

à l’image du rien.

Un vent léger, une brise

vint aviver les braises presque éteintes.

Une flamme jaillit soudain des cendres rouges.

L’aube à l’Est blanchissait l’opacité de la nuit

et le sommeil de leurs cœurs,

comme les étoiles,

se laissait fondre dans la lumière de l’aurore.

« Il nous est demandé un nouvel accueil d’autrui »

se disaient-ils,

« allons voir ce qui se passe

du côté de l’étoile du matin ».

A peine en route,

avec leurs troupeaux de brebis et d’agneaux

dont les clochettes tintaient aux champs,

« un ange du Seigneur fut près d’eux,

la gloire du Seigneur brilla autour d’eux,

et ils s’effrayèrent d’un grand effroi. »

L’ange leur dit :

«Ne vous effrayez pas,

car voilà que je vous annonce une grande joie

qui sera pour tout le peuple :

il vous est né aujourd’hui

un sauveur dans la ville de David,

c’est le Seigneur messie.

Et voilà pour vous le signe :

vous trouverez un enfant emmailloté

couché dans une mangeoire.»

Ce n’étaient bien sûr que des bergers.

Ce n’étaient ni des savants, ni des intelligents.

C’étaient des cœurs purs tout simplement.

Parmi eux, il y en avait un qui l’était encore davantage

et qu’on appelait le ravi.

Il avait parfois de ces paroles déplacées.

Par exemple, il fit la remarque suivante :

« Dans une mangeoire ? à Bethlehem ?

On n’y trouvera que du pain,

si c’est dans une mangeoire.

Mais si c’est du bon pain,

c’est mieux que rien ! »

Les autres ne prêtaient d’abord

pas grande importance à ces mots,

mais arrivés près du gîte où la Vierge avait donné le jour à l’Enfant,

ils n’avaient plus ni faim, ni soif.

Il y avait parmi ces bergers

un tout jeune garçon,

aveugle de naissance,

mais qui reconnaissait le bêlement

de chaque brebis, de chaque mouton,

et avait l’ouïe si fine

que dans la nuit c’est à lui que s’adressaient ses frères,

lorsqu’une agnelle s’était égarée.

Ils partaient alors ensemble à sa recherche,

et souvent retrouvaient l’égarée.

Il avait grande mémoire aussi

et une voix chantante comme celle d’un séraphin.

Lorsqu’il arriva près de Miryam et de Yosseph,

il ne vit pas le nourrisson au milieu d’eux,

mais il sentit à la jubilation de son cœur

que le très-Haut, Celui qui est sur le trône,

s’était abrité près d’eux.

Il dit à voix haute à ses frères

qui avaient des yeux pour voir

et qui n’avaient encore rien vu :

« J’entends une grande voix, hors du trône.

Elle dit : «Voici l’abri, la tente de Dieu avec les hommes.

Il établit sa tente avec eux,

ils sont à lui pour peuple.

Elohim est avec eux,

Lui-même.

Exultez donc, cieux et vous qui vous y abritez »

Il dit encore: « Exultez !vous tous qui ce soir et demain

désirez que se crée par l’amour réciproque

un espace plus vital, une paix plus forte que les guerres,

un Paradis plus vif

où l’insécurité de ce siècle,

les calamités, la méchanceté ne résistent pas

à l’Amour de Dieu pour chacun de nous.

Agneau perdu, toi qui lèves la tête et cesses

de brouter les brins d’herbes sauvages

¾ qui poussent parmi nous, les cailloux ¾

Vers qui bêles-tu ?

 

 

LENDEMAIN D’ÉLECTIONS… EUROPÉENNES

 

Europe

faite de vagues

d’immigrés

ayant

oublié depuis

si longtemps

leurs origines

ayant accaparé

ces terres

bribes

et brins de boutures

d’azur

neiges

de tant d’étoiles

si filantes…

Le rêve

d’un enfant d’hiver

s’y fia

La sève

de l’aubier neuf

s’éleva

Solaires

tes Dents du Midi

s’avérèrent

sévères

et loin loin

Derrière elles

les crêtes

des plus altières

arêtes

parfirent

d’amples errances

en cordée

confièrent

aux hommes ici installés

le sourire

solitaire

de l’enfant d’ailleurs

qui en rêve

confièrent

aux femmes d’Europe

l’espérance

aux yeux rouges

des colombes cachées au cœur

noir de l’Afrique

 

 

 

 

ESPÉRER L’IMPROBABLE

 

 

Après que nous avons rencontré le renard,

nous avons attendu jusqu’à ce qu’il revienne.

Dès que nous entendions un bruit, nous sursautions,

non que nous ayons été pris par la peur,

mais nous étions si impatients de le revoir…

« Ah ! " nous disions-nous, " Pourvu qu’il nous revienne ! »

Quoique la nuit nous ait surpris bien vite,

nous ne cessions de veiller en chantant doucement,

comme si le chant du vent là-haut dans le vieux chêne auquel nous étions adossés,

ne pouvait pas suffire à rappeler notre ami le renard…

Et nous ne perdions pas espoir, malgré que la nuit fût noire.

Nous contemplions, sur le dos, des heures durant,

le scintillement de toujours plus d’étoiles et d’amalgames…

Et puis rousse et soudain présente entre les cimes alentour

la lune qui montait tandis que tout tournait et se taisait,

hormis l’espoir de le revoir…

La lune, vibrant argent, descendait étreindre un horizon obscur

avant de s’y fondre et de s’éteindre,

lorsque dans les profondeurs étoilées s’est annoncée

une aube claire de lendemain tout bleu.

Aussi frais, aussi rond qu’est un galet, le jour alors est né.

Mais de renard, on n’en vit point.

Nous avons mesuré notre patience à celle du chêne

et nous nous sommes inclinés.

Adossés à lui nous avons levé les yeux ensemble,

presque pour qu’il revienne…

Un froissement parmi les bruns fanés des sous-bois d’automne :

Il était là.

Mais ne laissa qu’une trace à l’ouïe…

 

 

 

… AU-DELÀ DE LÀ-HAUT…

 

Je suis content de voir passer dans le ciel les hirondelles.

Pour moi elles dansent dans ma mémoire même en hiver lorsque d’elles nous sommes loin.

Leur danse crie dans le silence.

Dans le bleu s’écrit leur parcours.

Attentif, je me déplace vite pour lire leur écriture.

Elles sont fidèles.

Elles reviendront.

Si on ne les chasse pas, elles nidifieront dans le même nid, sous la même corniche.

Elles se reproduiront encore.

Elles volent sans répit.

Vite —

Elles volettent.

Elles ne sont jamais seules.

Elles sont au moins à deux.

S’accompagnent.

Survolent de très haut les autres oiseaux quand il fait beau.

Elles sont comme des points, des virgules bleu foncé dans le bleu clair de l’immensité.

Jamais fatiguées, elles reposent un instant celui qui les suit du regard,

Qui les laisse entrer dans sa rêverie.

Elles tournent en volutes, en spirales,

Dont elles sortent heureuses…

On ne saurait dire si elles connaissent la colère, la jalousie ou la haine.

On les devine joyeuses, allègres, gracieuses

Amantes du soleil, innocentes,

Les hirondelles sont belles.

C’est toujours elles qui me font fête, depuis l’enfance,

Et moi, je ne sais comment les remercier, comment les recevoir,

Quand elles se pointent, comment leur accorder mon cœur ?

Voient-elles le sourire qui se dessine sur nos lèvres ?

Entendent-elles que mon âme en exalte

Celui pour qui elles dansent ?

Songent-elles aux paysages

Qui rayonnèrent dans mes yeux

Lorsqu’elles m’annoncèrent la première fois

L’Ailleurs,

Vraies messagères de l’au-delà de la ligne des champs,

Signifiant d’où elles viennent et où elles vont,

Vers le monde à venir,

Au-delà de ma raison, de ma maison,

Signalant l’au-delà de ma compréhension,

M’invitant bien au-delà de ma main tenant mon bien,

 

au-delà de là-haut…

 

 

MON AMI LE VENT

 

Il a l’air de rien

son absence passe inaperçue

et sa présence si éphémère est passagère

 

Il apporte d’ailleurs les parfums et les senteurs,

parfois une pluie rose chargée de poussière de sables sahariens…

 

Comme si le désert assoiffé de pluie

se donnait à notre soif à nous.

 

Le vent n’a pas le sens de l’orient,

à tout bout de champ il perd le nord.

 

Mais en passant, il change les couleurs du ciel

et les fait passer du bleu au blanc.

 

Il tourne et s’enroule dans les clochers,

fait claquer portes et fenêtres,

empêche de dormir,

rend hystériques les malades.

 

A son gré, il fait planer les rapaces,

voltiger les mouettes,

hurler les forêts de grands feuillus.

 

Il plie le roseau,

casse ou déracine le chêne.

 

Dans la brise douce où vibre la rosée,

tu es, mon ami le vent, celui qui porte la parole,

tu es comme le sourire-même de celui qui te dirige

et joue avec toi comme avec un cerf-volant coloré…

 

Quelles acrobaties te fait-il faire,

quand même, l’air de rien

et quelles surprises

nous réserve-t-il ?

  

 

 

IL Y A DU BLEU — EN LEVANT LES YEUX

 

 

La branche

porte sa famille de feuilles

 

La feuille

tient d’une main la branche

 

Son poids

et sa légèreté

s’accordent pour rythmer la danse

 

Verte de couleur

ici claire

ombrée au revers

 

Elle sourit

à sa voisine plus légère

plus svelte

 

Et à l’autre

 

Elles composent

une présence

que visite la brise

 

Elles illustrent l’été

alors qu’un pinson s’égosille 

 

 

ET PAR LA SUITE ?  

*

Et par la suite

Une à une

la branche les lache

 

Elles dansent

sur l’aile

du vent

 

Elles chantent

sur l’air

du bleu

 

Qui aime

l’aller

de la vie

 

De l’arbre

qu’elles

laissent

 

Enraciné

en lui

 

UNE VOIX QUI NEIGE A MA PORTE 

C’est la trente-septième fois

au moins

que dans ma vie il neige

Et c’est un rêve éveillé,

une veille ravie

et comme une fascination…

Le désir me prend

de cette douceur

qu’a cette neige neuve,

le désir de m’en laisser blanchir,

recouvrir, adoucir…

Bonne

est,

de la fumée du feu de bois,

l’odeur qui tout embaume

Et belle,

la lenteur des flocons

qui la traversent

en sa bleuté légère…

Mouettes grises

qui sur fond de transparence

rose clair très claire glissent

Où c’est,

qu’à l’instant,

va le désir de votre envol ?

— «Voici »,

me dis-tu,

de ta voix de neige douce,

« voici que frappant je me tiens

à ta porte

dans le froid où tu me laisses… »

— « Me voici,

flocon pur, légèreté blanche, doux cristal étoilé qui descends de très haut,

traverses les pâles effluves bleus qui montent à ta rencontre.

Voilà

ta main,

ton regard tout voilé de frimas

et

ton sourire qui me réchauffes… »

 

 

NOS OUI A TOI

 

*

 Dans la grotte de la nuit

aux mille fissures d’étoiles

je désire puiser à la source du silence

moi ? rien: Toi mon être

N’être que de Toi

naître que de Toi

 

*

 

Il est si bleu,

il est si bleu que ça,

si bleu que les … oui à toi

si bleu que je m’en réjouis…

rien que de l’écrire,

rien que de le dire,

rien que d’y songer,

il est là-haut sur les névés de coton blancs,

il y accueille la lumière,

il y reçoit soleil, étoiles…

il est si bleu,

le ciel

 

*

 

TU

 

as la tête couverte

d’ailes d’oiseaux chanteurs déployées

 

es là à leur sourire

à la légère voilure de leurs ailes

 

as attendu de lune en lune nouvelle

qu’à ton trône se réunissent tes compagnons

 

es ardemment désiré d’eux tous attendu

au festin que pour eux tu as préparé

 

***

 

 

FOCUS

 

 

feu de nuit - feu de jour

 

 

ardemment

 

art d’amant

 

brûle la nuit — ardeur du jour

brûle le jour — ardeur de nuit

 

feu de flamme

où coule le songe

s’éventent les vœux

s’éteint ma parole

 

flamme du feu

où s’écrit ta parole

s’écoute sa parole

 

s’entend

la douceur du chuchotement

 

des

dialogues d’amour

 

 

chuchotement

du

 

feu du feu

de

l’amour

 

où naît

la

vie

du

vocable

amourir

 

 

CHANSON DU TROUVÈRE A SA DAME

 

Trouverai-je

encore

en Paradis

 

Ton sourire

d’amour

à moi versé ?

 

En moi

que ton sourire

éclaire

Claire

l’enténébré

espère

 

De toi

surtout

immensément

se sait

se sent

aimé

Claire

me sais

me sens

aimé

clairement

appelé

à

aimer

à

en

briller

pour

toi

 

 

 

LA SPIRALE

À

?’À

où ?

d’où ?

d’un point tournant du noir

aimant à blanc

soufflant

à

flux

et d’où

s’étend

le

yud

d’Adonaï

et

l’élan

des

particules

d’ions

des

sillons

d’iodes

violacées

des

traînées

halogènes

des

ciels

de

YHWH

byssus soyeux

de

spires bleues

d’hélices

célestes

exilées

délices

si lestes

étalés

en

archipels

étoilés

 

ondes

et

vagues

essoufflées

de

fougères

envolées

et

d’éthers

végétaux

spirales

animées

s’ouvrant

d’ici

vers

toi

et

moi

-

spirales

aspirées

par

toi

mouvance

évolutive

révolutée

à

en

perdre

et

lumière

et

vie

même

pétrifiées

les

ammonites

nous

indiqueront

le

sens

de

l’où?

Rouable dans le four

dont tu nous tires

braises

du four

sels

des salines

 

 

DROITES GAUCHIES

 

Les droites parallèles

Lorsque passe le Souffle

que passe la Lentille

la Spirale

 

Sont tordues rompues

Leurs élans sont brisés, leurs forces éparpillées

 

Lorsque passe le Souffle

que passe la Lentille

la Spirale

 

Le champ magnétique de Celui-Celles-ci

 

malgré elles

Les fait partir à contre-sens

Les détruit, les chauffe à blanc, les défait

Et parce qu’il veut rendre éparse

la citadelle d’orgueil

du moi

 

Il passe avec sa Parole de glaive

et

de sa seule puissance d’amour

en liberté

recrée en suspension

le pointillé

de nos élans

anciennes droites

désireuses

désormais

d’être

par lui

gauchies

vers

lui

fléchies

 

LES NEUF PREMIERES PAROLES DE BEL-AMOUR RESSUSCITE 

G u n a i , t i k l a i e i V ;

G u n a i , t i k l a i e i V  ;

t i n a z h t e i V  ;

M a r i a m

 

À

  

Femme, pourquoi pleures-tu ?

Femme, pourquoi pleures ?

Que cherches-tu ?

Mariam

Ecoute-nous

Marcher côte à côte

marcher parmi les ormes

à la lueur d’étoiles

marcher dans le silence

que fait pour nous la nuit

dans la forêt énorme

marcher côte à côte

avec Mathie qui

- présence aux traces

fraîches de l’enfance,

à nos côtés marche avec nous,

à nos côtés à nous

qui sommes,

toi et moi

pour cette enfant

papa, maman

qui marchons

dans l’art minimal

de la noirceur des troncs

qui glissent entre nous

et la lumière endormie

de clairières qui

veillent par derrière

Ecoute-nous